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Depuis une quinzaine d’années, des entreprises de nettoyage prennent la place des concierges, souvent au détriment des locataires. Phénomène. Travailleurs d’appoint, les concierges comme les locataires les aiment dans les immeubles se font de plus en plus rares. «Il n’existe pas de chiffres exacts à ce sujet», explique Magali Gianella, administratrice de l’Association romande des concierges. Cependant, selon André Narbel, délégué à l’Association suisse des concierges, «on estime qu’il y aurait 6000 personnes en Suisse romande qui se prévalent du nom de concierge». Ne sont pas comptés dans ce nombre les concierges des hôtels dont la fonction diffère des concierges des immeubles. Ces derniers sont souvent au bénéfice d’une formation que l’on pourrait qualifier de «légère», voire totalement inexistante et les trois quarts, soit quelque 4500 à 4800 personnes, ne travaillent qu’à temps partiel en tant que concierges. Les sociétés de nettoyage Plate-forme entre le locataire et le propriétaire, la gérance n’est en général pas l’employeur du concierge. C’est ainsi au propriétaire d’assumer cette responsabilité et, par solution de facilité, de plus en plus optent pour une société de nettoyage. «Elles sont apparues il y a une quinzaine d’années», poursuit le spécialiste. Dans le but d’élargir leurs prestations, elles se sont présentées aux régies immobilières en assurant aux propriétaires des économies et un travail de professionnels. «Ce n’est pas tout à fait vrai, réplique celui qui en sait long sur la question. Les employés de ces sociétés ne sont pas plus formés qu’un concierge sans formation! Mais l’arrivée massive de ces petites sociétés nous a conduits, nous, association professionnelle, à une certaine réflexion concernant notamment l’image véhiculée par le concierge ainsi que son niveau de formation.» Il existe depuis 1998 un brevet fédéral de concierge. «Mais, précise André Narbel, au maximum 150 à 200 personnes en Suisse romande ont satisfait à ces exigences durant ces vingt dernières années.» Ce n’est pas énorme! Les personnes au bénéfice d’un brevet sont souvent responsables de l’ensemble des bâtiments dans des communes, des hôpitaux ou des institutions. On peut dire que leur poste correspond à celui d’un gouvernant technique en plus de la gestion de la partie nettoyage. Ce qui signifie que la problématique de la formation du concierge de base restait entière d’autant plus que l’Office fédéral de la formation professionnel a longtemps hésité à mettre sur pied un CFC car on avait de la peine à imaginer qu’une régie allait confier à un jeune homme sortant d’apprentissage l’entretien d’un ou deux immeubles. Enfin un CFC! Il a fallu attendre 2010 pour que démarre enfin un CFC d’agent d’exploitation et on compte aujourd’hui 3000 jeunes en formation, dont 347 en Suisse romande. «Chez nous, il a fallu attendre l’ordonnance fédérale de 2007 pour que la formation en français se mette sur pied. Nous n’avions rien. Zéro expert pour les examens, zéro critère, zéro livre, zéro professeur connaissant les standards de la profession…» André Narbel s’est alors engagé avec d’autres collègues pour établir un programme qui tienne la route. «Les concierges ne sont pas en voie de disparition, s’insurge leur représentant. Au contraire. On fait tout pour leur donner de la substance, pour les rendre plus crédibles et surtout plus professionnels. Ils ne sont pas du tout protégés. Ils ne peuvent qu’accepter les contrats et les cahiers des charges qu’on leur impose, même si être concierge d’un immeuble au bord du lac n’a rien à voir avec la même fonction dans un immeuble à La Chaux-de-Fonds! Mais, avec une formation reconnue au niveau fédéral, ils peuvent s’affirmer et se retrouver dans une meilleure situation. Ce ne sont plus seulement des travailleurs d’appoint qui travaillent quelques heures par jour en dehors de leur vrai métier. Avec un CFC, ils peuvent revendiquer des postes à 100% et prendre la responsabilité de plusieurs immeubles.» Ce CFC peut d’ailleurs également être obtenu par des adultes déjà en activité. L’arrivée des standards Fini les «Ça va pas te prendre plus de trente secondes!» lâchés par un patron qui ne veut pas perdre son temps. Dorénavant, le métier de concierge possède des standards. «Et comme dans un menu, explique celui qui s’est beaucoup investi dans ce domaine, on peut choisir si on veut trois desserts ou seulement une entrée. En d’autres mots, si l’on veut nettoyer une cage d’escalier avec une brosse à dents, on peut savoir que ça va prendre un certain temps et que ça prendra dix fois moins de temps avec un balai adéquat.» L’arrivée dans le métier de ces standards a littéralement révolutionné le travail en soi tout en valorisant la fonction. «Nous voulions réussir à comparer le prix d’une prestation externe avec celle du concierge qui vit sur place. Nous voulions aussi montrer comment une société externe monte les coûts tout en rognant sur les heures et en payant le moins possible ses employés pour générer un maximum de bénéfice. Nous voulions enfin trouver un dénominateur commun pour que l’on sache ce que l’on commande et combien ça va nous coûter. C’est aujourd’hui possible. Nous avons trouvé ce que nous cherchions en Finlande.» Là-bas, plus de 40 000 prestations aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des bâtiments ont été validées sur le terrain par ceux qui font le travail. Et ces documents sont utilisés depuis une vingtaine d’années. «On peut ainsi décider que les feuilles mortes du gommier devant l’entrée sont balayées dans le quart d’heure où elles sont tombées et que cela a un coût. On peut aussi choisir si on veut que la neige soit raclée devant l’immeuble ou si on fait en sorte d’en laisser toujours 5 centimètres, etc.» En plus de valoriser le métier, l’Association romande des concierges cherche à mettre sur pied d’égalité un concierge à temps partiel avec un concierge à plein temps. Cela réduit la précarité de l’emploi et récompense les personnes qui ont fait un effort pour satisfaire à une exigence professionnelle. «On ne peut pas décréter être crédible, il faut pouvoir le montrer», soutient André Narbel. Sur cette lancée, une attestation de formation professionnelle d’employé d’exploitation (AFP) va être lancée en Suisse romande. Elle concerne les personnes chargée essentiellement de travaux répétitifs, comme le nettoyage ou le balayage. Elles auront dorénavant, elles aussi, une reconnaissance professionnelle et pourront acquérir des connaissances et des méthodes qui pourront grandement leur faciliter la vie en leur apprenant à connaître les processus d’utilisation d’outils spécifiques. Clin d’oeil du côté des locataires Engagé convaincu depuis de nombreuses années, André Narbel encourage les locataires à se sentir concernés par leur immeuble et, pourquoi pas, à proposer à leur gérance de s’investir et de se faire rémunérer pour le travail accompli en fonction du temps alloué. Avis aux amateurs. Claude Chessex: «Je suis clairement pour le concierge» Membre du comité de l’USPI Vaud (Union suisse des professionnels de l’immobilier) et directeur de la Régie Braun SA à Lausanne, Claude Chessex préfère gérer un immeuble entretenu par un concierge plutôt que par une entreprise de nettoyage externe. Interview. A votre avis, quelle est aujourd’hui la part occupée par les sociétés de nettoyage? Claude Chessex. Je dirais 1015%, mais ce taux est en augmentation. Pourquoi cette tendance aux sociétés de nettoyage? Tout le monde préférerait avoir des concierges sur place. Si la tendance aujourd’hui va plutôt dans le sens des entreprises de nettoyage, cela provient plus des problèmes que l’on rencontre sur le terrain que d’une volonté de notre part, les régies immobilières, d’y avoir recours. Dites-nous-en plus… Nous avons énormément de difficultés à trouver des candidats valables. Peu de gens veulent de nos jours s’investir dans une telle fonction, d’autant plus lorsqu’il s’agit de ne travailler que quelques heures par semaine. La plupart des personnes qui se manifestent sont plus intéressées par l’appartement que par l’activité qui y est liée. Ils prennent le poste par défaut. Il y a aussi la question du temps consacré. Comment un couple qui travaille à 100% chacun de son côté loin de son domicile peut-il avoir encore de la disponibilité pour s’occuper de l’entretien d’un immeuble? Le choix de prendre une société externe s’impose donc de plus en plus? Par dépit, c’est certain. Si on ne trouve pas la personne adéquate, il faut bien tout de même assurer le service. Et puis, avec une société extérieure, le coût de l’entretien de l’immeuble est plus facilement intégré au budget car taire a une meilleure vue de ses charges sans avoir à prendre la charge administrative d’avoir un employé. Certains propriétaires rechignent à prendre cette responsabilité. Et puis le droit du travail est un domaine complexe qui nécessite une gestion bien rodée, il faut ouvrir un compte AVS, payer le 2e pilier, calculer les charges sociales, payer les assurances accidents, perte de gain. Assurer un salaire, le remplacement durant les vacances, etc. Cela peut s’avérer lourd. Qu’est-ce qui ferait pencher un propriétaire en faveur d’un concierge? Le service aux locataires. Avoir une personne de contact qui vous accueille et peut vous rendre service sans devoir téléphoner à la gérance simplifie la vie au quotidien d’un locatif. De plus, la personne vit sur place, elle se sent concernée par l’atmosphère qui y règne et peut agir rapidement pour résoudre toutes sortes de problèmes. Ce sera, par exemple, elle qui ira déblayer la neige à 6 heures du matin ou rentrer les containers à ordures dès que le camion de la voirie aura passé. Une société de nettoyage ne peut pas remplir ce genre d’activités. Ses employés se présentent dans les immeubles de telle heure à telle heure avec un cahier des charges très précis sans plus. Ils ne sont même pas censés parler avec un locataire. Vous êtes plutôt concierge ou société de nettoyage? Clairement pour le concierge. Peut-être que payer une société de nettoyage semble dans un premier temps une solution idéale, mais sur le long terme, on le sait aujourd’hui, à cahier des charges identique, cela revient plus cher car pour remplir le rôle du concierge dans les règles de l’art, en assurant notamment un rôle de surveillance et de contact social, un passage dans un immeuble deux fois par semaine est insuffisant.

Claire-Lise Genoud Rédactrice en chef Droit au Logement

23 septembre 2014
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