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Alors que, dans les années 1970, on pensait que les habitations précaires dans nos pays d’Europe n’étaient qu’un phénomène passager, on ne peut qu’assister aujourd’hui à la cruelle réalité d’une situation qui ne cesse d’empirer. Lorsqu’on parle de bidonvilles on pense aux favelas qui surplombent Rio de Janeiro, aux ciudades perdidas qui ceinturent Mexico City. On pense aussi à Kibera, situé au sud de Nairobi, en Afrique, considéré comme le plus grand bidonville d’Afrique, passé de quelque 7000 habitants dans les années 1960 à plus d’un million aujourd’hui. L’Europe n’est pas associée à l’idée de bidonvilles. Et pourtant…. Aussi en Europe Dans tous les pays d’Europe à la fin des années 1970, on imaginait que les bidonvilles allaient disparaître. On pensait que la mise en oeuvre de politiques publiques, souvent autoritaires comme le relogement des populations concernées dans de nouvelles cités et la démolition des lieux d’habitation insalubres, précaires et illégaux, permettrait de dissiper le cauchemar d’un «infrahabitat». Malheureusement, si ces politiques ont massivement réduit le phénomène des bidonvilles, elles n’ont pas réussi à l’éradiquer. Les autorités ont en effet négligé une donnée essentielle: les bidonvilles – ici comme ailleurs – sont le symptôme d’un mal-développement économique et social produisant marginalisation et exclusion. Ainsi, malgré le développement économique de la fin du siècle passé, l’importance des règles de non-discrimination au sein de l’Union européenne, le phénomène n’a pas été éliminé. Au contraire, on assiste à sa brutale résurgence, comme nous l’a rappelé le pape François en 2015 lors de sa visite surprise et médiatisée dans l’un des bidonvilles des abords de Rome. En ce début 2016 l’évacuation et la destruction de la «Jungle» de Calais, ce bidonville de près de 3000 réfugiés vivant dans l’espoir de rejoindre l’Angleterre, fait écho aux nombreux délogements et expulsions de Roms de logements de fortune partout en Europe. Vivre dans la marginalité Combien sont-ils ainsi à vivre dans la marginalité des bidonvilles en Europe? Il faut le dire d’emblée, il n’y a pas de chiffres précis, car dans la plupart des pays européens les autorités ont préféré ignorer cette blessure sociale plutôt que de la chiffrer et de la cartographier. Dans les années 1960, ATD Quart Monde recensait 75 000 personnes vivant dans les bidonvilles de France. Aujourd’hui, les estimations des organisations françaises engagées contre la discrimination en matière de logement s’élèvent à 3,5 millions de personnes vivant sans logement ou très mal logées, dont environ 20 000 dans des bidonvilles. En Italie le recensement de 2011 a révélé qu’en dix ans, soit depuis 2001, le nombre des habitants se déclarant vivre dans des roulottes, des baraques, sous tente ou dans des conditions similaires, avait triplé, en passant de 23 000 à 71 000 personnes, sans compter les 50 000 sansabri dormant dans la rue. En Espagne la situation n’est pas très différente. L’estimation des «sin techo», c’est-à-dire des sans-abri, varie selon les sources entre 25 000 et 40 000 personnes, mais le chiffre exact des habitants vivant dans les chabolas, nom espagnol donné aux bidonvilles, présentes du sud au nord dans toutes les villes d’une certaine importance, reste inconnu. A Madrid par exemple il y a encore au moins dix bidonvilles, certes de petite taille, mais dont la population croît de nouveau. Le Portugal n’échappe pas à la règle. Il suffit de se référer au plus connu des bidonvilles de Lisbonne, Cova de Moura, qui, grossissant régulièrement au cours des trente dernières années, a atteint aujourd’hui plus de 7000 âmes. Migrations internes ou externes En Europe, comme partout dans le monde, les bidonvilles sont le produit de migrations internes ou externes, qui sont elles-mêmes la conséquence de politiques discriminatoires et répressives, de politiques économiques induisant la marginalisation des laisséspour- compte ou de catastrophes environnementales, naturelles ou non. Contrairement à ce que laissent sous-entendre les reportages événementiels réalisés à la va-vite, sans expertise et analyse sociale précise, tout particulièrement lorsque les habitants de ces taudis sont des Roms ou des réfugiés d’une même nationalité ou d’une même région, les bidonvilles ne sont absolument pas l’expression d’un comportement ethnique ou culturel de leurs habitants. Il est ainsi intéressant de relever que les favelas brésiliennes et les bidonvilles des années 1960 entourant Milan, en Italie, trouvent de manière identique leur origine dans l’exode rural massif qui déversait des dizaines de milliers de nouveaux arrivants vers les villes. Sans le sou et sans logement, ces populations se sont adaptées à leur nouvelle réalité en construisant des maisons de fortune dans des espaces urbains libres mais interdits. Depuis dix à quinze ans, les bidonvilles se développent de nouveau en regroupant les milliers de migrants ou de réfugiés arrivés sous nos latitudes dans l’espoir d’y trouver un improbable eldorado véhiculé par les images satellitaires des télévisions européennes. Selon les pays et les villes, on y trouve des Latino-Américains, des Nord-Africains, des Africains subsahariens et plus récemment des Afghans, des Irakiens et des Syriens. Présence tolérée mais intégration refusée Dans les bidonvilles les plus anciens, on trouve des populations qui ont réussi à survivre grâce à des emplois précaires, mais que les sociétés européennes, tout en tolérant leur présence, ont refusé d’intégrer. L’absence de coordination européenne et de politiques nationales volontaristes d’intégration des centaines de milliers de réfugiés quittant les champs de bataille d’Irak et de Syrie risque de nourrir de nouveaux bidonvilles, tels ceux de Calais, avec ces milliers de migrants pris au piège entre des lois qui les empêchent de rejoindre leurs proches ou leur communauté déjà sur place dans l’un ou l’autre pays européen et l’impossible retour dans leur pays d’origine, dévasté par la guerre, la crise économique ou les perturbations climatiques.
16 mars 2016
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