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A Lausanne, 160 locataires de deux immeubles ont lutté contre leur éviction.

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"Nous risquons bien de perdre. Mais au moins nous sommes ensemble." La phrase résonne dans la salle du café Le Rétro. C’est à peu près le maximum d’optimisme qui
parvient à s’exprimer à ce moment. Le bistrot est plein, mais l’ambiance est tendue. Chacun digère encore le choc. Quelques semaines plus tôt, il y avait eu cette lettre de résiliation
dans la boîte aux lettres des habitants de deux tours d’habitation de l’avenue du Parc-de-la-Rouvraie et de la route Aloys-Fauquez. Dans le froid du mois de novembre, près de 160 fois la
même mauvaise nouvelle : l’immeuble va être rénové. Le plus simple est qu’il soit totalement vide. Alors il faudra partir, d’ici à trois mois. Le ton est lapidaire, la formulation sèche et juridique. Comme souvent, d’abord, la stupeur le dispute à l’abattement. L’histoire de la lutte de près de 250 locataires dans deux bâtiments du quartier de la Rouvraie pourrait ne jamais
avoir eu lieu. La résignation, le chacun-pour-soi auraient pu triompher. Mais, dans un petit interstice entre dégoût et le découragement, une petite équipe se faufile. Porte-à-porte, discussions de couloir, modèles de courriers tout prêts: un comité s’improvise et travaille vite et bien. Tous ses membres font ça pour la première fois, mais on pourrait croire qu’ils ont fait ça toute leur vie.
En quelques semaines, la totalité ou presque des locataires adhèrent à la démarche de défense collective. Vaille que vaille. Les choses se précipitent. Un premier comité lance une pétition. En deux mois, elle recueillera 5000 signatures. Les autorités sont alertées : la Ville de Lausanne se range du côté des locataires et dénonce les méthodes du propriétaire,
d’autant plus que les rénovations par roulement ont déjà fait leurs preuves. Elles permettent de conserver les baux et surtout d’éviter des déménagements en masse.
 

Des rénovations en partie contestées
L’octroi du préavis cantonal requis par la loi sur la protection et la préservation du parc locatif est suspendu. En même temps qu’ils contestent les résiliations, les locataires déposent une opposition dans le cadre de l’enquête publique. Le bailleur se retrouve sur la défensive, la préfecture suspend les résiliations en appelant les parties à négocier un accord. Les locataires
font valoir leur point de vue au-delà du droit du bail, contestant le bien-fondé de certaines rénovations et transformations. Commence alors une longue, très longue négociation. Pendant
plus de deux ans, toutes les procédures sont suspendues. Cela offre un peu de sécurité, mais pour la visibilité, on repassera. Le dialogue est lent, les propositions se font attendre. Fin 2021 – soit près de deux ans et demi après le dépôt de la pétition – les choses bougent enfin. Un accord est sur la table : retrait des résiliations, modification du programme des rénovations selon les demandes des locataires, garantie de consultation sur la planification du chantier. A l’assemblée générale de janvier 2022, tout juste trois ans après le lancement de la mobilisation, l’ambiance a bien changé. «Vous êtes sérieux, nous obtenons tout ça?» demandera une dame d’un certain âge, incrédule. En avril 2022, l’accord est formellement signé.

Des baux maintenus et des droits neufs
La lutte collective a payé. Les locataires ont toujours cherché le dialogue et sont toujours restés fermes et unis. Ils obtiennent une victoire spectaculaire en conservant leurs baux, mais aussi des avancées rares comme un droit de regard et de codécision sur certains travaux. Au moment de fêter ça, à la fin de l’été, apparaît une autre victoire : dans la mobilisation, puis dans l’attente, et enfin dans la réussite, c’est une véritable communauté qui s’est créée.

Benoît Gaillard
Membre du comité
ASLOCA Lausanne

6 février 2023
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