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Interview de Daniel Baehler, assistant-doctorant en géographie des mobilités à l’Université de Lausanne. Avant cela, il a collaboré à la plateforme «Habitat à mobilité durable», visant à promouvoir les quartiers sans ou avec peu de voitures. Vous étudiez la problématique des habitats sans voitures depuis plusieurs années. Quelle évolution remarquez-vous? En Suisse, il y a une croissance importante d’habitats sans voitures, à savoir où les résident-e-s s’engagent à ne pas avoir de voiture privée, depuis l’inauguration du premier projet en 2011 à Berne. De plus en plus, les promoteurs immobiliers plus traditionnels s’y intéressent aussi, pour des raisons simplement économiques: dans les centres, de moins en moins de ménages possèdent une voiture et demandent une place de stationnement. Les jeunes sont aussi nettement moins intéressés à posséder une auto. Quels sont les villes et/ou cantons pionniers en la matière en Suisse? Ce sont de grandes villes alémaniques, Berne, Zurich et Winterthour notamment. Mais ce ne sont pas directement les villes qui sont pionnières, puisque l’initiative est toujours venue de coopératives ou d’acteurs privés. A quoi est-ce dû selon vous? Je pense qu’il y a une sensibilité écologique plus forte dans les villes alémaniques, qui influence plus les pratiques de mobilité qu’ailleurs. Et l’autre point important, ce sont les alternatives à la voiture qui y sont plus développées: les réseaux de transports publics ou les aménagements cyclables ainsi que l’autopartage. Avec un peu de retard, les villes romandes suivent et ainsi aussi les premiers projets à Genève, à Neuchâtel ou à Lausanne où il n’y aura pas ou que très peu de places de stationnement pour les résident-e-s. Qui sont les habitants de ces logements sans places de stationnement? Quelles sont leurs motivations? L’enquête que j’ai réalisée dans le cadre de ma thèse dans neuf habitats sans voitures en Suisse et en Allemagne a montré qu’environ la moitié des ménages sont des familles avec enfants, ce qui va à l’encontre de la croyance qu’avoir des enfants ne va pas sans voiture. Le niveau de formation des résident-e-s est très élevé, près de deux tiers des adultes ont une formation universitaire. Ils ont fait le choix de vivre sans voiture, alors qu’un quart en possédaient une auparavant. Les motivations sont variées: il y a évidemment des convictions écologiques mais aussi des motivations d’ordre pratique. Les habitant-e-s- n’ont simplement pas besoin de posséder une voiture pour leur vie quotidienne et assez d’alternatives, y compris l’autopartage, pour se déplacer. Souvent, c’est un mélange de motivations personnelles et pratiques. Dans les coopératives, la volonté de vivre ensemble (et d’avoir des espaces partagés) est également une motivation importante. Dans les autres pays, y a-t-il des expériences similaires? Oui, les premiers habitats sans voitures ont vu le jour en Allemagne il y a une vingtaine d’années déjà. Il y en a aussi en Autriche, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni notamment, mais des premiers exemples ont vu désormais le jour dans de grandes villes américaines, canadiennes ou australiennes. Le phénomène reste anecdotique, non? Quels sont les freins à un développement plus important de ce genre d’immeubles? En chiffres absolus, l’importance de ces projets d’une centaine de logements en moyenne peut paraître anecdotique. Mais, comme pour toute innovation, il est normal de commencer petit et l’intérêt est surtout de montrer l’exemple, que c’est possible et bien vécu. Les lois et normes actuelles, qui demandent la construction de places de stationnement lorsqu’on construit du logement dans la plupart des cantons et communes, sont un frein important. Les investisseurs peinent également à suivre les changements de la société au niveau de la mobilité quotidienne. A noter également qu’il faut des garanties de la part des habitants et/ou des promoteurs comme quoi il n’y aura pas d’utilisation des espaces publics pour parquer les voitures privées des habitants. Qui sont les plus «frileux»: les promoteurs, les politiques ou les locataires/acheteurs? Souvent la demande était plus grande que l’offre et tous les logements sans voitures réalisés ont facilement trouvé des locataires et des acheteurs. Ce sont surtout les politiques et promoteurs conservateurs qui sont frileux. Ils pensent toujours qu’il n’y a pas de demande pour de l’habitat sans voitures, alors que mon étude a montré que même des ménages qui possèdent une voiture peuvent être séduits par ce type de logement et abandonner leur auto si l’offre le leur permet.

Quelles sont les perspectives d’avenir pour ce genre d’habitat? Quelle est l’évolution de la législation? Les tendances générales dans le domaine de la mobilité, à savoir notamment utiliser au lieu de posséder les voitures, laissent croire qu’il a de beaux jours devant lui et va encore se développer davantage. Pour augmenter la qualité de vie et répondre aux aspirations de la population, les villes développent de plus en plus des espaces libérés de voitures privées. La législation commence aussi à être adaptée aux nouvelles réalités. Le canton de Berne a, par exemple, modifié il y a quelques années sa loi sur les constructions et y a intégré la possibilité de construire du logement sans voitures.

Propos recueillis par Henriette Schaffter

22 janvier 2019
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