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La privatisation progressive du sol public exaspère les citoyens.
Début avril, la presse suisse alémanique s’est enflammée au sujet des objets immobiliers que des entités publiques vendent au plus offrant.
Les chiffres sont impressionnants. Entre 2008 et 2017, les CFF, La Poste, Swisscom, le Poly de Zurich, Ruag, l’armée et l’Office fédéral des constructions et de la logistique se sont dessaisis de terrains et d'immeubles pour une valeur de 2,743 milliards de francs. Un montant incroyable!
Les ventes ont lieu au prix du marché à des investisseurs privés qui n’ont absolument aucune préoccupation sociale et aucune volonté de mettre sur le marché des logements à loyer abordable en faveur des classes moyennes et populaires. Le mépris est total à l’égard des villes et des cantons qui souhaiteraient mettre en œuvre une politique sociale du logement.
Genève: dispositif cantonal exemplaire
A Genève, la Constitution cantonale prévoit que l’Etat et les institutions étatiques ne peuvent vendre des terrains ou immeubles leur appartenant sans décision – soumise à référendum facultatif – du législatif cantonal ou municipal. Autant dire que les politiques néolibérales de cession de biens publics au secteur privé ne peuvent se concrétiser. Il n’y a pourtant pas de blocage sur les projets immobiliers mixtes privé-public, car les échanges de parcelles sont possibles justement pour la réalisation d’opérations immobilières. Au surplus, le canton de Genève et les communes genevoises disposent, outre d'un droit d’expropriation, d’un droit de préemption, qui leur permet de se substituer à l’acheteur au prix convenu entre celui-ci et le vendeur, pour que le bien immobilier passe en mains publiques plutôt qu’en mains privées. Il faut signaler que ces droits d’expropriation et de préemption ne sont que très rarement exercés, car leur seule inscription dans la Constitution et la loi amène les privés à négocier en amont avec l’Etat et les communes les parcelles cédées pour la réalisation de logements d’utilité publique ou des équipements. Le canton de Genève dispose donc d’un cadre légal progressiste qui protège les terrains en mains publiques et qui facilite les acquisitions publiques.
Protection lacunaire quasi partout ailleurs en Suisse
Mais ni la Confédération ni la plupart des cantons et des communes de Suisse ne disposent ni d’une protection des biens publics contre la vente à des privés, ni d’un droit de préemption sur les terrains et les immeubles mis en vente, tout particulièrement ceux mis en vente par des entités publiques. Ces autorités ne peuvent donc pas intervenir pour relever la vente d’un immeuble ou d’un terrain des CFF, de La Poste ou d’une autre institution publique, lorsqu’il y a un intérêt municipal ou cantonal pour la réalisation de logements à loyer abordable ou même de surfaces industrielles ou commerciales pour les PME locales. Dans ces cantons, les citoyens désarmés voient passer les biens appartenant à la collectivité en mains privées, favorisant ainsi la spéculation et la hausse des prix immobiliers.
Réactions vives et mobilisation
Aujourd’hui, les citoyens et les citoyennes montrent qu’ils en ont assez de cette privatisation progressive du sol public. En Suisse alémanique, la mobilisation citoyenne se concrétise aussi. A Bâle-Ville, il y a deux ans, le peuple a accepté une initiative interdisant au canton de vendre ses terrains, sauf en cas de nécessité financière. A Lucerne, une initiative des Verts a été retirée après la mise en place d’un dispositif légal par le Grand Conseil. Dans la commune zurichoise d'Uster, il y a quelques semaines, une initiative interdisant la vente de terrain en mains publiques a été déposée. Les exemples locaux se multiplient.
En outre, les citoyens souhaitent de plus en plus que leur commune ou leur canton achète des terrains, même ceux vendus par des privés, afin de réaliser des logements d’utilité publique, seule réelle solution pour assurer à tous un logement décent à loyer abordable. Ainsi, les électrices et électeurs vaudois ont accepté en février 2017, malgré l’opposition acharnée des milieux immobiliers, un droit de préemption, certes bien plus limité que celui existant à Genève, mais indispensable aux communes pour réaliser une politique du logement en faveur du plus grand nombre.
Le peuple votera certainement
C’est exactement dans ce sentiment de révolte populaire que s’inscrit l’initiative fédérale de l’ASLOCA «Pour davantage de logements abordables». Il est dès lors incompréhensible que le Conseil fédéral l’ait récemment écartée d’un revers de main. Si le Parlement la refuse aussi, ce qui est le plus probable au vu des majorités actuelles, c’est le peuple qui décidera.
Il faut rappeler au Conseil fédéral et, plus largement, aux politiques que le marché ne fait pas tout, comme le soutiennent les idéologues libéraux. Loin s’en faut! Et surtout en matière de logement.
Carlo Sommaruga
Président de l'ASLOCA Suisse