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L’exigence du nouveau Code de procédure civile suisse de comparaître en personne aux audiences de conciliation paraît excessive pour les locataires. Analyse. Depuis le 1er janvier 2011, toutes les procédures sont régies par le Code de procédure civile suisse (CPC), et non plus par les différentes lois de procédure civile cantonale. La règle est que les parties comparaissent en personne aux audiences de conciliation: si le demandeur ne comparaît pas, l’affaire est rayée du rôle. Cette règle est interprétée avec une dureté excessive pour les locataires. Graves conséquences pour le locataire Selon l’article 204 du CPC, les parties doivent comparaître en personne à l’audience de conciliation. Selon l’article 206, en cas de défaut du demandeur, la requête est considérée comme retirée, la procédure devient sans objet et l’affaire est rayée du rôle. Cette disposition a des conséquences extrêmement graves pour le locataire, car nombre de droits (cf. la liste ci-dessous) se périment après trente jours seulement, ce qui est sans aucun équivalent dans tout le droit suisse:
  1. Le droit de contester le loyer initial (article 270 CO)
  2. Le droit de demander une baisse de loyer (art. 270a al. 2 CO)
  3. Le droit de contester une augmentation de loyer ou une autre modification unilatérale du contrat (art. 270b al. 1 CO)
  4. Le droit de contester un congé (article 273 al. 1 CO)
  5. Le droit de demander une prolongation de bail (art. 273 al. 2 CO)
  6. Le devoir de valider une consignation de loyer (art. 259h, al. 1 CO) pour avoir le droit de continuer à consigner le loyer
Tous ces droits sont irrémédiablement perdus si la requête est rayée du rôle vu l’absence du locataire à l’audience de conciliation. Il n’est en effet plus possible de déposer une nouvelle requête dans le délai. Rares dispenses Est toutefois dispensée de comparaître personnellement et peut se faire représenter la personne qui a son domicile en dehors du canton ou à l’étranger (cela ne peut évidemment pas concerner le locataire d’un logement!) ou la personne empêchée de comparaître pour cause de maladie, d’âge ou en raison d’autres justes motifs (204 al. 3 CPC). Même exigence pour chaque colocataire Ces exceptions sont assez restrictives, ce d’autant plus que la jurisprudence a une fâcheuse tendance à considérer que, lorsque plusieurs personnes sont colocataires, elles doivent toutes (!) se présenter à l’audience de conciliation, comme si l’une ne pouvait pas valablement représenter les autres. Idem pour les couples Dans le cadre d’un couple par exemple, l’époux pourrait parfaitement représenter sa femme lors de l’audience de la Commission de conciliation, ce d’autant plus que la requête aura préalablement été signée par les deux époux. Exiger que mari et femme se présentent personnellement à l’audience de conciliation est parfaitement exagéré: il est en effet déjà assez difficile de se libérer de ses obligations familiales ou professionnelles pour se présenter à une audience de conciliation. Cela étant, il arrive que les juges fassent preuve de jugeote et considèrent par exemple qu’une société est valablement représentée par son sous-directeur au bénéfice d’une signature collective à deux et par l’avocat de la société muni d’une procuration de l’administrateur possédant la signature individuelle. Le Tribunal cantonal vaudois a considéré «qu’il convient d’adopter une position souple et d’admettre qu’à partir du moment où la signature d’un éventuel accord à l’audience de conciliation est possible séance tenante, avec un engagement valable et complet de la société, cela suffit pour considérer que la conciliation peut être tentée et comporte toutes les chances d’aboutir, de sorte que la ratio legis de l’article 204 CPC est respectée» (arrêt de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois du 31 mai 2012). Jamais gagné d’avance Mais, attention, il ne suffit pas que l’autorité de conciliation délivre l’autorisation de procéder au sens de l’article 209 CPC (à savoir la faculté pour le demandeur de poursuivre l’affaire devant le tribunal) pour que la question soit définitivement réglée. Certains quérulents sont allés jusque devant le Tribunal fédéral pour qu’il soit constaté que le demandeur n’était pas valablement représenté lors de l’audience de conciliation et que la procédure devait être rayée du rôle! (arrêt 4A_387/2013, qui ne concernait toutefois pas une procédure de bail puisque le demandeur réclamait 1 325 000 francs. Lors de l’audience de conciliation, la société demanderesse était représentée par l’un de ses collaborateurs dont la procuration n’était signée que par un administrateur qui ne disposait que de la signature collective à deux). Pas d’assouplissement au niveau cantonal Les cantons n’ont malheureusement pas la possibilité d’assouplir les règles du Code de procédure civile, comme l’a rappelé le Tribunal fédéral dans son arrêt du 25 juin 2013 annulant une loi genevoise donnant la possibilité à la Commission de conciliation de convoquer une nouvelle audience en cas de défaut du demandeur (arrêt 4C_1/2013). Le Tribunal fédéral, qui ne peut pas revoir les lois fédérales, a considéré que l’obligation de comparution personnelle est «une exigence proportionnée, répondant à un intérêt public». Allant plus loin, le Tribunal fédéral a même estimé qu’il y avait «des motifs de traiter différemment le locataire et le bailleur: en règle générale, seul le gérant de l’immeuble a eu affaire aux locataires, il connaît mieux les circonstances du litige que le bailleur, si bien qu’il est raisonnable que le gérant et les locataires discutent d’un arrangement en séance de conciliation». Dans ces circonstances, pourquoi exiger que tous les colocataires, même ceux qui n’ont jamais discuté avec le gérant de l’immeuble, comparaissent à l’audience? Un seul représentant des locataires n’est-il pas suffisant pour discuter avec le gérant? De plus, on assiste, en tout cas à Genève, à la tendance que les régies fassent de plus en plus appel à des juristes «maison», de sorte qu’à l’audience de conciliation, ce n’est pas le gérant de l’immeuble qui se présente, mais ledit juriste qui n’a, par hypothèse, jamais mis les pieds dans l’appartement du locataire. Jusqu’à présent, les autorités de conciliation genevoise n’ont rien trouvé à redire à cette situation. Seul le législateur fédéral peut trancher Toujours dans le même arrêt du 25 juin 2013, le Tribunal fédéral a refusé de se pencher sur la question de savoir si cette réglementation était satisfaisante ou si elle consacrait une solution trop rigoureuse pour le locataire, car il s’agit d’une question de politique législative qu’il n’appartient pas au Tribunal fédéral de trancher, mais bien au législateur fédéral. Le Tribunal fédéral relevait qu’à l’époque l’Assemblée fédérale était saisie d’une initiative parlementaire déposée par un député genevois, soit Mauro Poggia, demandant uniquement que, lorsqu’une partie n’est pas présente mais est représentée par un mandataire professionnellement qualifié, l’autorité de conciliation peut convoquer une nouvelle audience et exiger la comparution personnelle de la partie défaillante plutôt que de rayer l’affaire du rôle. Cette modeste modification législative a par la suite malheureusement été refusée par le Conseil d’Etat puis par une majorité du Conseil national le 4 mars 2014. Une possibilité de modifier le CPC est donc impossible au Parlement fédéral. Ne reste qu’une initiative populaire ... ou une application intelligente du CPC, conforme à la Convention européenne des droits de l’homme, celle-ci stipulant notamment que chacun a droit à un procès équitable, ce qui n’est pas le cas si l’on perd irrémédiablement ses droits pour une simple absence à une audience de conciliation.

François Zutter Avocat répondant Asloca Genève

23 septembre 2014
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